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Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains
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Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains
Renaissance du Vieux Metz et desPays Lorrains

Compte rendu de la sortie du 19 octobre à Saint-Dié

La dernière sortie de RVMPL de l’année 2023 nous amena en Déodatie et comporta trois volets.

La matinée fut consacrée à la découverte de Saint-Dié-des-Vosges, sous la conduite de Petra de l’Office du tourisme de la ville. Un parcours éclectique où notre attention fut naturellement attirée par l’ensemble cathédral- cloître-  église N-D de Galilée (c’est le nom donné à la vallée de la Meurthe) mais aussi par l’empreinte laissée par Le Corbusier (architecte de l’usine Claude et Duval) et par la Tour de la Liberté. Le début de la visite de l’ensemble cathédral fut gâché par l’absence d’éclairage, intervenu bien après ; L’occasion fut donnée de revenir aux origines et évolutions religieuses de la cité, depuis la fondation du monastère par Saint Déodat (moine irlandais de Luxeuil) en 669, rattaché par Charlemagne à l’abbaye royale de Saint Denis ; ce monastère, souvent incendié et reconstruit, déclina vers l’an mil ; c’est alors que le duc de Lorraine expulse les derniers moines pour y installer des chanoines réguliers dont le Grand Prévôt est sous l’autorité du pape ; ce chapitre eut ses heures de gloire, à la Renaissance, avec le « Gymnase Vosgien », sorte d’académie,  passionnée de découvertes : c’est à Saint-Dié, en effet, en 1507, que fut élaborée la première carte du monde où figura le nom du nouveau continent (Amérique), du nom d’Amerigo Vespucci qui  avait perçu que les « terrae incognitae » découvertes jusque-là faisaient partie d’un vaste ensemble territorial. Revenant à l’histoire de la cathédrale, notre guide  nous retraça- succinctement- l’évolution de l’édifice, depuis sa construction à partir du XIIe, en grés des Vosges jusqu’à son dynamitage par les Allemands en novembre 1944. Sa reconstruction mit 30 ans.  Les commentaires se focalisèrent sur les vitraux contemporains (hormis de rares pièces d’origine ancienne qui avaient été déposées avant 1939) au grand dam de certains qui auraient aimé plus d’explications d’ordre architectural. Sortant de l’édifice, nous traversâmes le cloître gothique, du XIVe s. avec sa chaire extérieure (cas rare) et qui porte encore les stigmates des destructions de 1944 avant d’entrée dans la petite église paroissiale (40 m sur 20m) - N-D de Galilée - ; à l’origine (XIIe) elle était réservée aux ecclésiastiques et à leurs hôtes de marque – d’où la tribune au-dessus de l’entrée qui leur fut réservée lorsque les paroissiens purent assister aux offices. Les fidèles n’avaient pas accès à la collégiale au Moyen Age.

 

Parmi les singularités de l’église, l’abside semi-circulaire couverte d’une magnifique voûte en  cul-de-four, les motifs ornementaux appelés billettes surmontant les arcades et surtout, le maître-autel  sur le thème de la Vierge à l’Enfant ;  directement inspiré du portail de Saint Anne de la cathédrale Notre-Dame de Paris (influence du  courant Viollet-le-Duc). Il fut mis en place en 1892. D’autres particularités sculpturales auraient mérité quelques commentaires supplémentaires ; le temps était compté.  

 

L’observation de l’usine Claude et Duval, à  deux pas de la cathédrale, fut menée sous une pluie naissante. L’industriel Jean Jacques Duval fit appel aux services de son ami  Le Corbusier, qui avait été débouté de son projet de reconstruction de la ville en juin 1945, pour la reconstruction de sa bonneterie, aux deux-tiers incendiée en novembre 1944. L’architecte réalisa en trois ans (1948-1951) une usine inspirée de ses grands principes novateurs : une construction en béton armé montée sur pilotis, un toit-terrasse (endroit de convivialité entre usagers des bâtiments) et une luminosité rendue nécessaire par le travail de bonneterie, l’utilisation du système modulor ; la conception verticale de l’édifice, inhabituelle pour un bâtiment industriel, fut l’occasion d’expérimenter grandeur nature un brise-soleil, qui accroché en façade, jouait à la fois un rôle esthétique et fonctionnel  (atténuer la diffusion de la lumière directe sur les postes de travail et en protéger les tissus aux couleurs fragiles). L’intérieur fut équipé de meubles de Charlotte Perriand et Victor Prouvé.  La construction fut classée monument historique en 1988 et au Patrimoine Mondial en 2016. Aujourd’hui, l’usine appartient toujours à la même famille et travaille pour de grands couturiers (Chanel, Dior).

En nous dirigeant vers notre restaurant, Petra nous relata l’épisode douloureux pour les Déodatiens, de l’incendie de novembre 1944, concernant la rive droite de la Meurthe ; elle nous présenta la Tour de la Liberté, dont la forme évoque un grand oiseau blanc, symbolisant la recherche de tous les peuples : la liberté. Haute de 36 m, avec une envergure de 32 m et une surface des ailes de 1 000 m², elle comporte trois niveaux : une grande salle de 270 m² à 12 m du sol (utilisée lors de chaque Festival International de Géographie), une petite salle de 180 m² à 16 m du sol et un belvédère de 100m² à 20 m du sol d’où l’on a une vue panoramique sur la ville et la célèbre « ligne bleue des Vosges », immortalisée par le testament du déodatien, Jules Ferry. Nous ne pûmes y accéder, la guide préférant nous épargner  certaines chutes sur les marches métalliques, rendues possibles par la pluie qui  se complaisait à nous accompagner dans nos pérégrinations.

 Réalisée  et présentée en 1989 à  Paris, à l’occasion du  bicentenaire de la Révolution, elle fut ramenée peu de temps après et remontée au centre du parc Mansuy, en face de l’hôtel de ville. Le Tour abrite une prestigieuse collection de 52 bijoux, dont 13 pièces uniques au monde, née de la rencontre du peintre cubiste Georges Braque et du maître lapidaire H.-E. Heger de Loewenfeld. Ces pièces sont conçues sur le thème de l’air et de l’eau. G. Braque a légué ces pièces à la ville qui se doit de les conserver dans la tour ; pour l’heure, elles sont en restauration.

Dernier point de visite matinale : le monument aux morts, profondément martelé par les Allemands en 1940 ; ceux-ci démontèrent toutes le statues et sculptures en bronze avant de les fondre ; mais surtout, ils s’en prirent au poilu écrasant l’aigle impérial, surmontant initialement la construction.

Nous nous dirigeâmes ensuite vers le restaurant – le Saint Martin- où le déjeuner fut particulièrement apprécié tant par la qualité que par l’abondance.

 

 

Le second volet de notre journée en Déodatie nous plongea dans les combats qui ensanglantèrent la commune du Ban de Sapt, située à une quinzaine de kilomètres de Saint-Dié, durant la Première Guerre Mondiale.  L’épisode militaire, peu connu du grand public, est retenu dans l’Histoire comme étant la bataille de La Fontenelle : plus de 2300 soldats français y laissèrent leur vie et reposent, pour la majorité d’entre eux, dans le cimetière aménagé au sommet de la colline, codifié par l’état major sous le nom de cote 627 (627 m d’altitude) ; toute l’histoire des combats menés pour la possession de ce point d’observation stratégique, depuis la victoire au col de la Chipotte , jusqu’à l’arrivée des Américains en 1918, relayant les Français en ce secteur, nous fut conté dans les moindres détails par un guide fin connaisseur,  M Geneix de l’association «Chemins de Mémoire - La Fontenelle », petite structure de 12 membres, créée en 2017.  Dans un temps malheureusement trop court (1 h), il sut nous communiquer les indispensables et nombreuses informations, nécessaires pour comprendre, non seulement les opérations militaires mais le quotidien des combattants, soumis à des bombardements parfois intensifs, mêmes s’ils n’eurent pas le même gradient qu’à  Verdun. La Fontenelle est un des sept hameaux, dispersés, qui composaient la commune du Ban de Sapt. Sa colline (627 m) domine un vaste secteur s’étalant principalement de la Meurthe au Rabodeau. Sa possession par les Allemands leur aurait permis d’avoir à portée de canon la ligne de chemin de fer ravitaillant Saint-Dié et, au-delà, Gérardmer, autrement dit, le massif vosgien. 

 

Ce point de cristallisation découle des suites des combats menés au col de la Chipotte, fin août- début septembre 1914 : les Allemands tentèrent dans la foulée de l’échec français à  Morhange, de percer nos lignes pour se diriger vers Charmes et Epinal ; l’acharnement des combats, se terminant souvent à l’arme blanche, dans un paysage boisé où l’infanterie était en première ligne se caractérisa par la lourdeur du bilan : environ 4 000 morts dans chaque camp. Leur échec amena les Français à faire reculer l’ennemi au-delà de La Fontenelle dont les Français s’emparèrent à la mi-septembre, pour n’y être plus délogés jusqu’à la fin de la guerre. Mais c’était sans compter sur la volonté allemande d’essayer de s’en emparer coûte que coûte dans un second temps.  

En effet, jusqu’en juin 1915, il ne se passe pas grand-chose. Les combats les plus violents interviennent en juin et juillet : les Allemands, au prix d’un bombardement massif, s’emparent, dans un premier temps, de nombre de nos lignes de défense ; les Français tiennent bon malgré tout au sommet de la cote 627; deux violentes contre-offensives leur permettent de regagner le terrain perdu.

Depuis lors, la colline est bombardée par l’artillerie allemande située alentours sur des sommets plus élevés que celui de La Fontenelle mais la fréquence des accrochages se réduit avec le temps; La Fontenelle devient, comme l’ensemble du massif vosgien, un théâtre d’opérations secondaires, le cœur du conflit se déplaçant entre Verdun et la Somme au fil de très grandes offensives. 

 

L’autre partie des commentaires fut consacrée au monument départemental érigé en mémoire des poilus tombés sur tout le secteur vosgien des opérations (et non pas aux seuls soldats tombés à La Fontenelle). Erigé à l’extrémité du cimetière en 1920-21, il ne fut inauguré qu’en 1925. De section quadrangulaire, il comporte  deux effigies, un poilu, tenant une grenade à la main droite, sur la face nord, face à l’ancien Empire allemand, Marianne, côté opposé, symbolisant la France. Sur les deux autres cotés, une pleureuse, sans visage, anonyme.

 

La bataille de La Fontenelle, gagnerait à être mieux connue du public ainsi qu’un soutien pour l’association qui œuvre pour la pérennité de sa mémoire; une bonne nouvelle toutefois : depuis le 20 septembre de cette année, la nécropole du Ban de Sapt, comme celles de Saint-Benoît-la Chipotte et de Saint-Dié-des-Vosges, vient d’être inscrites au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le dernier volet de notre présence en terre vosgienne nous amena à Senones dont l’histoire, longue et complexe, nous fut présentée dans l’église abbatiale. Une histoire où religion, politique et industrie sont étroitement liées.

Elle  commence, en effet, par la longue tradition monastique, depuis la fondation par  Gondelbert, évêque de Sens, vers 640, du premier monastère, jusqu’à l’expulsion des derniers moines à la Révolution et à la mise en vente du complexe monastique comme biens nationaux. Pourvu d’un vaste ensemble de terres fiscales (privilège d’un roi mérovingien), le premier monastère se trouve au centre d’un domaine appelé à se développer et à attirer des convoitises. Charlemagne ne tarde pas, à son arrivée au pouvoir, à nommer abbé et seigneur de Senones, Angelram, évêque de Metz. Dès lors, les évêques messins deviennent les maîtres du temporel de l’abbaye, confiant à des avoués, le soin de protéger et de gérer leurs biens et ceux des abbés, aux ressources conséquentes et variées. Cette charge dévolue initialement à la Maison de Langstein (chevaliers de Pierre-Percée), échoit lors de l’union de celle-ci à la maison de Salm (choisie par l’évêque de Metz Etienne de Bar) à cette dernière. Ce comté porte dès lors le nom de comté de Salm qui connaît par la suite bien des évolutions.

 

De cette longue histoire, l’abbaye de Senones vaut par son ensemble architectural relativement bien conservé, récompensé par son inscription (église et bibliothèque) au titre de Monument Historique.  Les bâtiments actuels, en cours de restauration, après de coûteux travaux de réfection de la toiture (10M €),  conservent encore la disposition du cloître bénédictin, la bibliothèque, certes dépouillée de ses livres et des rayonnages, le logis abbatial et les importants bâtiments d’exploitation, la fameuse cage d’escalier monumentale, ornée d’une rampe en fer forgé par Jean Lamour marquent la puissance de l’abbaye à son apogée.

 

Notre guide nous fit remarquer que plusieurs églises  ont été successivement construites en ce lieu. Au minuscule sanctuaire originel dédié à  Gondelbert succède un premier véritable monastère, peuplé de moines bénédictins aux IXe et Xe s. Au XIIe s. l’abbé,  Antoine de Pavie reconstruit entièrement le monastère : il fait bâtir l’église Saint-Pierre et entreprend la construction d’une église circulaire dédiée à  Notre-Dame, la Rotonde. De 1680 à 1766, le monastère connaît de profondes transformations : un nouveau cloître est édifié, entraînant la disparition de la Rotonde ; le côté nord du cloître est alors occupé par la nef de l’église Saint-Pierre, qui, à son tour est détruite au XIXe s. avec l’installation d’une usine textile. Une église provisoire est alors construite sur le côté est du cloître, donc perpendiculairement à l’ancien édifice, remplacée par l’église actuelle de style néo-roman (à partir de 1860) ;  d’où l’orientation nord-sud de cette église.

 

La figure de Dom Calmet, abbé de Senones, marqua la vie de l’abbaye. Il n’était pas seulement abbé, mais aussi philosophe, historien, toujours  très proche des pauvres et refusant le « confort » que le cadre monastique lui offrait. Erudit, il rassembla plus de 15 000 ouvrages dans la bibliothèque et entretint une correspondance avec Voltaire qu’il reçut  en 1754. Celui-ci  fut chassé par le prince de Salm-Salm, ce qui lui valut la phrase, restée célèbre, « qu’un escargot en [principauté] ferait le tour en un jour. »

 

Du logis de l’abbé, en grande partie conservé, nous avions une vue sur le premier château des princes de Salm-Salm. Il fallut faire preuve d’une très grande attention pour appréhender l’histoire politique complexe du comté de Salm depuis le Moyen Age. A la suite d’un coup de force, à la fin du XVIe s., le comte de Salm (du nom d’un château en Alsace), Jean IX, associé à son cousin et beau-frère, Frédéric Othon, Rhingrave (équivalent à comte du Rhin), se font reconnaître par la population et devant huissiers, comme étant les seuls seigneurs de la région, en déclarant le comté de Salm en indivision.  La partie du comté située à l’ouest de la rivière La Plaine, échoit rapidement au duché de Lorraine par suite du mariage de la seule héritière Christine, mariée à Henri II de Lorraine. La partie orientale reste la possession de la Maison des Rhingrave  qui se scinde rapidement en deux branches ; leur réunion à la suite du mariage entre deux descendants, amena le nouveau prince, Nicolas Léopold, à porter le titre de prince de Salm-Salm, pour signifier l’union de deux branches.

La guide insista sur l’importance des accords conclus entre Louis XV et le prince, en 1751, pour un partage territorial, avec reconnaissance de l’indépendance de la principauté située à l’est de la rivière La Plaine (moyennant un droit de libre passage pour les troupes françaises). Les princes construisirent successivement deux châteaux ; le premier en 1754, actuellement en ruine, fait l’objet d’un ambitieux projet de restauration ; le second,  de 1773 à 1778, bien conservé, est transformé en logements, gérés par la commune et le privé. L’impossibilité pour les habitants de la principauté d’importer des grains (imposée par la Convention) les amena, pour éviter la famine, à demander leur rattachement à la nouvelle République en 1793 ; le troisième prince de Salm-Salm  fut alors expulsé et tous ses biens confisqués. 

Aux XIXe et XXe, l’abbaye devient un centre textile ; la présence d’un moulin (et donc d’une eau abondante)  à proximité, les vastes espaces disponibles à la suite de la vente des locaux à la Révolution, permirent l’installation d’une première usine dès 1806. Très rapidement filature, tissage et confection prirent pied dans les bâtiments. La faillite de l’entreprise Boussac  ne mit pas un terme définitif à l’activité ; subsiste en effet, un atelier-vente de tissus dans une aile de l’ancien cloître, bien loin cependant de la prospérité industrielle du XIXe s. Enfin, les exactions nazies valurent à ce territoire le surnom de « vallée des larmes ».

 

Au final, les participants au voyage ont particulièrement apprécié le dynamisme et la compétence des guides de l’après-midi ; Ils ont découvert, pour un certain nombre, des pans méconnus de l’histoire lorraine que ce soit sur le plan religieux, militaire ou simplement architectural.

 

Gérard Colotte

 

Crédit photographique : Dominique Mayer