Coordonnées

Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains
38-48 Rue Saint Bernard

57000 METZ

 

Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains
Renaissance du Vieux Metz et desPays Lorrains

Sarrebourg / Saint-Quirin

Un programme éclectique attendait les participants avec, au menu, successivement, une plongée dans l’univers Chagall, un retour à l’art  baroque pour terminer par une église d’inspiration corbuséenne  de la réconciliation franco-allemande. Trois thèmes en trois lieux différents.

La matinée fut consacrée, à  Sarrebourg, au parcours Chagall qui comprend, sur le même thème de La Paix, l’immense vitrail (12m de haut : le plus grand jamais conçu par l’artiste) de la chapelle des Cordeliers (seul vestige du couvent franciscain construit au XIIIe s.) et la tapisserie exposée au Musée du Pays de Sarrebourg. Le premier fut réalisé par l’atelier Simon de Reims (dans les années 70) et la seconde, par Yvette Cauquil-Prince, en 1990, après la mort de Marc Chagall.

 

 Le vitrail résulta d’une commande du maire, Pierre Mesmer, et s’inscrivait dans une politique de rénovation du centre-ville. Il s’agissait alors de remplacer le mur qui séparait la chapelle de l’ancienne nef, démolie après guerre. Marc Chagall réalisa les nombreux cartons – remis à titre gracieux – à l’atelier rémois pour la concrétisation. Yvette Cauquil-Prince, admiratrice de l’artiste,  quant à elle,  prit à son compte le carton qui servit à la confection du vitrail destiné au siège de l’ONU en 1964.

 

Notre guide nous fournit une grille de lecture très détaillée des deux œuvres  alors que l’artiste n’avait pas explicité sa pensée.

 

Pour le vitrail, il insista d’emblée sur le thème général de l’apaisement représenté par l’immense bouquet de fleurs, à l’image de l’arbre de vie dans la Bible. Chagall ressentait peut être plus fortement qu’un autre ce besoin de paix, lui qui traversa bien des périodes troublées : les deux  révolutions russes (il est né dans l’actuelle Biélorussie en 1887), les deux guerres-mondiales ;  sa confession juive lui eût causé sa perte durant la seconde guerre alors qu’il s’était installé en France s’il n’avait pas été secouru par un américain qui lui permit de s’exiler outre-Atlantique.

 

 L’arbre de vie (qui fut initialement le titre de l’œuvre) est centré sur Adam et Eve au paradis, bien mis en valeur au centre de la composition, alors que le serpent n’est jamais éloigné. D’autres personnages de la Bible sont reconnaissables,  Moïse tenant les Tables de la Loi et le Christ, présent dans trois scènes différentes (le sermon sur la montagne, la fuite au désert et le Christ en croix). C’est aussi Isaïe dont la vision fut largement reprise par Chagall (position du corps, présence de nombreux animaux….). L’exégèse chrétienne voit dans la vision du prophète une pré-Annonciation de la naissance du Christ enfanté par une vierge.

Nous pûmes voir étonnamment la tête d’une lorraine, coiffée de la halète traditionnelle, comme un clin d’œil à la région.  Celle-ci est également rappelée, à la base du vitrail, par la représentation de bâtiments de ville et surtout la présence de trois cerfs dont la ramure constitue le blason de la ville de Sarrebourg.

Le guide reconnut cependant que l’observateur devait faire preuve d’imagination pour identifier les formes représentées, dans une gamme de tons (chauds et froids) extrêmement étendue. En nous rapprochant du vitrail, nous comprîmes le rôle de la grisaille dans la figuration des détails. Nous vîmes ainsi, à droite d’un groupe de personnages, le profil de l’artiste.  Nous ne vîmes pas le temps passer, tant le guide sut capter notre attention et satisfaire notre curiosité.

 

 

Nous nous rendîmes ensuite au musée du Pays de Sarrebourg, où le même guide nous fit découvrir la très grande tapisserie (4.7 m sur 7 m), sur le même thème (La Paix), réalisée par l’artiste Yvette Cauqil-Prince.  Placée sur le mur de la cage du grand escalier, cette réalisation put être observée  aussi bien au RDC qu’à l’étage, ce qui permit à chacun d’en apprécier les détails à loisir.

Sur chacun des deux côtés de la tapisserie, un aspect du monde, avec, au centre de l’ensemble, une représentation de la vision d’Isaïe, jouant le rôle de trait d’union entre les extrêmes.

A gauche, le malheur avec notamment la faux de la mort, renforcé par l’utilisation dominante de tons froids. A droite, sous le Christ -sans visage- en croix, une foule nombreuse de personnes joyeuses (danseurs et danseuses) ou, tout au moins,  sereine (femme au bouquet). Juste à côté de la croix, l’échelle de Jacob, déjà présente sur le vitrail de la chapelle des Cordeliers, rappelle le rêve que fit Jacob en voyant une échelle dressée entre ciel et terre et sur laquelle des anges ne faisaient que monter et descendre.

 

La composition  centrale est dominée par la présence d’Eve et la tête d’Adam sous un bouquet de fleurs, près d’un animal  (lion ?)- dressé sur ses pattes arrières. Le serpent est également présent, dans la même attitude que celle sur le vitrail.  Isaïe est de même représenté, posant sa main droite sur son épaule gauche, dans la même position – courbée- que celle visible sur le vitrail.

 

Nous pûmes voir également la tapisserie Moïse d’après une lithographie de Marc Chagall. Une composition surprenante où l’on voit le premier prophète du judaïsme, dominant de sa masse corporelle une arène de cirque où des artistes se livrent à des exercices (trapéziste, équilibristes, musicien). Venant en complément de la visite, le guide nous expliqua la technique employée par Yvette Cauquil-Prince pour la réalisation de ses cartons avant de les transmettre à des lissiers.

En début d’après-midi, nous nous rendîmes à Saint Quirin. Autre lieu, autre époque. D’abord, rencontre avec le saint éponyme, martyr sous l’empereur Hadrien, et dont les reliques furent données par le pape Léon X, à sa sœur, Geppa, abbesse de Neuss am Rhein (en face de Düsseldorf).  Nous sommes en 1050 et le chemin est long depuis Rome : une halte dans l’ermitage de Godelsadis (nom précédent celui de Saint-Quirin) fut la bienvenue. La légende fit le reste : la châsse trop lourde dut être délestée d’une grande partie des reliques du saint (hormis la tête). Bien en fut  pris : les reliques furent le point de départ d’un pèlerinage continu tout au long du Moyen Age ; on accourait de partout  pour obtenir la guérison de bien des maux (écrouelles par exemple) grâce à la fontaine miraculeuse, située en contre bas de l’actuelle église.

Saint Quirin connut un regain d’expansion grâce à la verrerie de Luttenbach qui prospéra du XVe au XVIIIe siècle, en profitant du bois et de l’eau en abondance dans la région.

C’est  alors qu’au XVIII e siècle, avec l’aide financière des prieurs qui dépendaient de l’abbaye de Marmoutier, propriétaire des lieux depuis le XIIe siècle, que fut reconstruit l’église priorale, dans le style baroque (elle remplaça alors la première église de style roman). Le financement fut assuré par deux prieurs fortunés. L’extérieur nous parut très dépouillé avec ses deux tours surmontées de trois bulbes superposés, typiques de l’architecture bavaroise, encadrant un portail marqué par de forts emprunts à l’architecture antique.

L’intérieur caractérisé par une nef unique, à plafond plat, faisait bien ressortir les deux pièces majeures, à savoir le maître-autel et l’orgue d’André Silbermann. Pièce unique rescapée d’une abondante production, l’orgue, de style germanique, fut sauvé dans les années 1960 grâce au soutien de la fondation Albert Schweitzer (un voisin et grand amoureux de l’orgue dont il jouait volontiers).  Réalisé entre 1741 et 1745, dans son atelier alsacien, l’orgue fut acheminé par chariots et monté en un mois seulement. André Silbermann appartenait à une famille d’organiers (ou facteurs d’orgue), d’origine saxonne, installée à Strasbourg et sut transmettre son savoir-faire sur plusieurs générations.

La pente raide ne rebuta pas le groupe qui suivit le guide, l’auteur de ces lignes, jusqu’à la Chapelle-Haute (église du XIIe siècle), construite à l’emplacement de l’ermitage,  où furent déposées les fameuses reliques. Si l’édifice, profondément transformé au cours des époques, n’offre guère d’intérêt, par contre les vitraux, datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle,  relatent – en six vitraux- le martyr de Quirinus et de sa fille Balbine ainsi que leur sanctification.

 

La fontaine des miracles, dans la vallée, constitua la dernière étape de notre visite de Saint-Quirin.  Nous vîmes cependant un ancien guéoir, typique des anciennes maisons lorraines : trois bassins de forme rectangulaire servaient à l’époque pour le nettoyage des pattes des chevaux. La statue de Saint Quirin qui surmontait l’ensemble, fut réalisé en 1863. Son expression, n’est pas sans rappeler les statues érigées en l’honneur des ancêtres gaulois (moustache abondante et tombante)  sous le Second Empire.

 

La journée se termina par la visite d’une église atypique qui en étonna plus d’un, dédiée à  Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus à Vasperviller, distant de 3 km de Saint-Quirin. 

Elle est singulière à plus d’un titre. Tout d’abord, le contexte de sa création : alors que le village de 300 habitants était dépourvu d’église depuis plus de trois siècles, un « triumvirat » de fortes personnalités (curé, maire, instituteur- secrétaire de mairie) entreprirent de bâtir, au lendemain de la Seconde Guerre, mondiale, une église en l’absence de validation préfectorale et malgré le refus des évêques successifs de Metz. Une construction provisoire en bois, fut rapidement installée sur un terrain fourni par un particulier (on parlait alors de baraque-chapelle) : une ancienne baraque qui servit peut être d’ « Hitler Schule » fut démontée et  acheminée depuis la région de Tarquimpol jusqu’au village. Elle servit pendant plus de vingt ans ! 

Seconde particularité : elle bénéficia des reliques de Sainte Thérèse de Lisieux grâce à la démarche du prêtre, Etienne Nicolas, qui les reçut des mains de Sœur Pauline, sa sœur. Ces reliques marquèrent le départ d’un pèlerinage dans une église en bois !

Le changement de contexte international depuis les années 50, caractérisé  par le rapprochement entre les ennemis de la veille (France et Allemagne)  incitèrent les autorités religieuses et laïques du village à imaginer une nouvelle église où le message principal serait mis sur la réconciliation franco-allemande, à travers la dénonciation des crimes nazis et du culte des idoles. L’architecte, Karl Litzenburger, représente à lui seul un condensé des enjeux de la nouvelle construction : fuyant le régime nazi,  il s’installa, diplôme d’ingénieur-architecte en poche,  au début de la guerre dans la région (Niderviller) où il connut sa future femme, une Lorraine prénommée Léontine. Incorporé de force dans la Wehrmacht en 1943, il fut éloigné de la Lorraine pendant près de six ans, laissant sa femme seule, qui, à la Libération, fut tondue et internée au Struthof. En dépit des malheurs du temps, le couple réuni choisit de rester à Niderviller. La nationalité allemande de l’architecte ne lui permit pas, dans un premier temps, de prendre en main l’ensemble du chantier ; il fallut l’intervention du nouveau prêtre, Valère  Schieser, qui sut convaincre André Malraux, séjournant régulièrement à Abreschwiller, de régulariser la situation de l’architecte. La procédure prit du temps et se traduisit pour l’intéressé, d’abord, par le parrainage d’un architecte français (Francescini de Thionville) qui accepta d’être garant des plans dessinés, puis par l’octroi d’un droit de chantier temporaire et enfin, total.  Il put ainsi réaliser son œuvre en 1968.

L’élaboration des plans tint compte des décisions conciliaires de Vatican II qui modifia en profondeur  la liturgie et le mobilier. Ici point de statues grandeur nature mais une seule de Sainte Thérèse, de taille très modeste  ; un unique tableau de type iconique représentant Gabriel entouré de deux rois juifs d’Ethiopie, un simple autel en bois et une croix labyrinthe.   

 

Les particularités architecturales ne manquent pas : la forme générale est d’inspiration corbuséenne (Notre-Dame de Ronchamp venait d’être achevée dix ans auparavant) ; courbes et ellipses structurent l’ensemble. L’emploi du béton armé permit les prouesses techniques. Mais surtout, les murs extérieurs constituant l’ossature, l’intérieur put être agencé selon la vision de l’architecte. Le résultat fut étonnant : la nef  complètement décentrée, ouverte largement sur le narthex ; la tour, cumulant les trois fonctions de l’église (église paroissiale, de pèlerinage et de souvenir des martyrs),  bénéficie d’un éclairage naturel spectaculaire, différent selon les heures de la journée et les saisons, grâce aux jeux de couleur des vitraux et à leur orientation différente. 

A gauche de l’entrée, et totalement non visible depuis la nef, les fonds baptismaux en forme de grotte, au sein d’une tour qui émerge considérablement de l’église.

 

Notre regard fut attiré par la réalisation de la vitrailliste allemande Gabriele Kutemeyer qui composa, d’après les cartons de Litzenburger, 17 vitraux  dont l’un représente Hitler en personne, sous la forme d’une idole que Rachel, seconde femme de Jacob, emporte pour la briser. Vasperviller est la seule église au monde où  Hitler est représenté sous la forme d’une idole brisée que l’on ne doit plus vénérer et que l’on va détruire comme dans l’Ancien Testament, où l’on  brisait les idoles païennes. La scène est empruntée au vol des Theraphim de Laban par sa fille Rachel. Il- son père- ne voulait pas la marier à  Jacob. Ces objets dérobés (Theraphim)  permettaient ainsi au gendre de réclamer l’héritage du beau-père.

Les scènes des 17 vitraux, directement inspirés de la vision de saint Matthieu, représentent la Genèse, le royaume d’Israël depuis sa création jusqu’à la destruction du Temple et la venue de Christ. Le message affiché est de montrer que la perversion des hommes, leur cupidité n’entrainaient que malheur comme le régime nazi a pu le faire quelques années auparavant. 

Sur le parvis de l’église, nous vîmes une représentation contemporaine du cavalier à l’anguipède dû à Nicolas Charpentier (2013). Inspirée des nombreuses sculptures de la mythologie celtique (colonne de Merten par exemple), la figure allégorique du dieu Taranis, sous les traits d’un cavalier, terrasse le démon, à la forme mi-humaine mi-animale. Ici, entorse aux traditions,  le cavalier tue le monstre. 

Les églises de Vasperviller et de Saint Quirin font partie des sept roses du pays de Saint-Quirin ; il s’agit de sept églises ou chapelles, qu’un sentier aménagé par le Club vosgien permet de visiter successivement. A chaque édifice est associée une couleur de rose (or pour Saint Quirin, rose pour Vasperviller, etc.). L’initiative en revint à l’abbé Schieser dans les années 1980. Ces édifices ont été implantés, et c’est là leur singularité, soit à l’emplacement d’anciens lieux de culte celtique ou d’ermitages. 

 

 

Nous regagnâmes ensuite Metz dans la bonne humeur avec le sentiment d’avoir découvert des beautés d’une région mieux connue des randonneurs que des touristes.