Une pluie soutenue nous accompagna jusqu’à notre entrée en Champagne-Ardenne. Un soleil de plus en plus généreux au fil des heures, prit alors le relai, pour notre plus grand plaisir.
Asfeld, aux confins des départements des Ardennes et de la Marne, constitua notre première étape du jour. Son église étonna plus d’un participant au voyage. Sa taille est imposante pour un village qui n’a guère dépassé le millier d’habitants (45 m de long pour 145 m de circonférence). Sa composition en briques ensuite : l’église construite entre 1681 et 1685, est l’unique exemplaire d’un édifice bâti avec ce matériau dans une région où domine la marne et où les carrières de pierre les plus proches sont à près de cent kilomètres du lieu (Mont Aimé). La forme de l’édifice est aussi surprenante : aucune ligne droite, tout est courbe et contrecourbe, du pur style baroque. Il faut dire que le commanditaire et propriétaire des lieux, Jean-Jacques de Mesme, comte d’Avaux, président à mortier au Parlement de Paris, ambassadeur de Louis XIV (il signa en son nom le traité de Nimègue en 1677) et surtout amateur d’art italien, n’avait d’yeux que pour le baroque transalpin qu’il connaissait bien. Le recours à la brique permit aux architectes Fleury et au frère dominicain François Romaine d’imaginer un ouvrage original. Le quatrième trait singulier de l’église tient ainsi à sa forme, loin du canon traditionnel de la croix latine. Ici l’édifice rappelle la viole de gambe, instrument à cordes très à la mode au XVIIe siècle. Surtout, il permettait au son dans sa partie arrondie (la rotonde) de s’élever comme le souhaitait le comte pour que « chants et prières des fidèles montent vers les cieux ».
À l’image du Panthéon romain, la rotonde est surmontée d’une grande coupole. Des passages étroits, percés dans l’épaisseur des murs, appelés « tournelles », permettent d’en faire le tour sans la traverser. Cette rotonde constituait à la fois le chœur – ailleurs réservé aux officiants mais pas ici- et le lieu de prière des fidèles face à l’autel consacré à Saint Didier de Langres, dont on sait qu’il fut décapité sur ordre du roi des Vandales, Chorus, en 264. En effet la nef, étroite aux murs concaves et ouverte sur ses côtés vers l’extérieur, permettait seulement aux fidèles d’entrer dans l’édifice. C’est une autre particularité. Au-dessus de la nef, s’élève le clocher que l’on appelle ici campanile ; il est orné de baies cintrées, garni de pilastres et de pots à feu, surmonté d’un clocheton. En avant de l’ensemble, servant de porche, un péristyle de forme oblongue est délimité par 12 colonnes. La colonne est un élément architectural qui fait aussi l’originalité de l’église : on en comptabilise 138 au total, piliers compris.
Les fidèles prenaient place autrefois dans les quatre tribunes de la rotonde. De forme semi-sphérique, soutenues par des colonnes, elles étaient éclairées par des verrières en demi-lune (d’époque romantique). Ces galeries sont reliées entre elles par un couloir, sorte de triforium. Le mobilier est d’une extrême simplicité : outre l’autel dédié au saint patron de l’église, on relève quelques statues et surtout l’autel en bois, placé au devant du précédent, dû à Emile Romagny, menuisier charpentier de formation. Sur la fin de sa vie, il s’adonna à la sculpture sur bois où il exprima, à sa façon, le langage de la Bible (thèmes et formes symboliques).
L’église traversa les époques sans subir de dommages de guerre. Par contre, l’usure des matériaux avec ses conséquences (infiltration d’eau) nécessita des restaurations, sans compter le souci de tenir compte de l’évolution des goûts artistiques des trois derniers siècles. Depuis 2010, l’église a fait peau neuve et le visiteur peut voir un condensé des retouches apportées à différents moments. Le toit à la mansarde du péristyle et de la nef a été remplacé par deux coupoles ; le dallage du sol fut entrepris dans les années 1960. Les peintures du XIXe siècle, un temps masqué par un badigeonnage blanc, ont retrouvé leur éclat d’origine, etc. La petite histoire retient que le nom d’Asfeld n’est par lié au comte d’Avaux. Le village qui portait le nom d’Ecry fut rebaptisé par le comte en Avaux-la-ville. Mais en 1728, le comté d’Avaux ayant disparu, un marquisat fut crée à sa place. Le nouveau maître des lieux lui attribua le nom d’Haresfeld, nom emprunté au marquisat que son propre père possédait en Base Saxe. Par contraction, Haresfeld devint Asfeld. La commune perdit un temps ce nom durant la Révolution au profit de celui d’Ecry-le-Franc avant de le recouvrer définitivement en 1815.
Nous nous dirigeâmes ensuite dans la commune de Bourgogne en Champagne (fusionnée récemment avec celle de Fresne). L’équipe dirigeante de l’association de Sauvegarde du Mausolée nous attendait. Etrange, la présence d’un mausolée de 260m2, construit pour recevoir 32 dépouilles, au milieu du cimetière et dans un si petit village. Le président de l‘association (et
ancien maire du village), Louis De Luca, nous conta son histoire avant de nous faire découvrir les merveilles ornementales de ce monumental tombeau. Difficile de faire un résumé de ce que l‘on entendit, de ce que l’on vit. Nous convions les lecteurs qui ne connaîtraient pas encore ce monument de se rendre sur place, à la fois pour découvrir ce que la commanditaire, Marie Théodorine Zoé Promsy, a voulu réaliser pour son défunt mari, le juge Jean Marie Léon Faynot (décédé en 1895) et pour permettre à l’association de poursuivre la restauration d’un monument, en déficit d’encouragement régional et de publicité. Car cette sépulture très particulière est délaissée par les descendants des deux familles, éparpillés dans le monde ou ne souhaitant pas y être inhumé. Emus par l’état de délabrement du monument, laissé à l’abandon, Louis De Luca s’adressa au légataire universel pour obtenir le droit de restaurer la construction. Il fonda alors l’association de Sauvegarde du Mausolée en 2011. L’accord étant obtenu, restait le plus dur à faire : remettre en état le mausolée. L’ornementation, constituée à la base de marbres de très
grande qualité et, dans les parties supérieures, de millions de tesselles de toutes les nuances possibles, avait souffert des infiltrations d’eau. Un spectacle de désolation attendait les courageux restaurateurs amateurs lorsque la porte s’ouvrit à eux : l’escalier monumental menant au fond du
mausolée était jonché de dizaines de milliers de tesselles, décollées de la voûte et aussi des murs latéraux. Il fallut trier, recomposer à plat et à l’envers les motifs manquants puis les recoller. Les tesselles manquantes furent commandées en Italie, lieu où elles furent toutes achetées il y a plus de cent ans. On imagine non seulement le temps nécessaire au travail mais surtout les sommes d’argent qu’il fallut engager. Les institutions furent sollicitées pour obtenir des subventions. Mais l’argent n’arrivait que lorsque les travaux étaient réalisés. Le prix obtenu dans un concours organisé par Le Pèlerin permit d’obtenir des subsides précieux. Le prix d’entrée fort modeste (5€) demandé aux visiteurs constitue une troisième source de financement. M. de Luca regrette cependant le manque de publicité faite par l’office du tourisme de Reims, d’où un taux de fréquentation trop modeste. Enfin, des dons personnels, parfois très conséquents, sont apportés comme, par exemple, celui de l’entreprise de pompes funèbres Rock Eclair !
Pour la partie historique, il nous conta dans quelle condition et pour quelle raison fut réalisé ce mausolée. Tout commença en 1868 lorsque l’unique héritière (Marie Théodorine Zoé Promsy) d’une riche famille d’agriculteurs de Bourgogne ayant conforté leur fortune dans le textile rémois,épousa un magistrat, originaire de Rethel (Jean Marie Léon Faynot), de quatorze ans son aîné. Le déroulement de la carrière judiciaire du mari amena le couple à se déplacer fréquemment avant de se fixer à Paris où il eut l’occasion de fréquenter les artistes du début de la IIIe République. Le couple n’eut cependant pas d’enfant. En 1895, le mari décède brutalement à l’âge de 63 ans.
L’épouse entreprend très vite après l’inhumation un vaste projet de construction d’un mausolée qui soit à la mesure de l’amour qu’elle lui portait. Elle s’adressa aux plus grands artistes parisiens, l’architecte Octave Courtois-Suffit, le sculpteur Gustave Michel ou encore le décorateur pour les mosaïques, Georges Rochegrosse.
Le projet aboutit à concevoir un mausolée de plan cruciforme avec abside, dôme et portique. Le plus remarquable sont ses dimensions : 18 mètres de long sur 10 mètres de large. Il fallut d’abord obtenir l’autorisation du conseil municipal de Bourgogne en Champagne, terre natale de la veuve Faynot. Ce ne fut pas facile tant les réticences furent nombreuses : car l’ensemble occupant un espace de 260m2, privait la commune de 129 autres tombes individuelles. L’accord ayant été obtenu, les travaux débutèrent en 1900 pour s’achever, dans leur globalité en 1914. Retenons quelques éléments marquants.
D’abord, au pied du grand escalier, au centre du mausolée, le tombeau monumental, en marbre blanc de Carrare, représente le juge Faynot, en tenue de magistrat, tenant son mortier de la main ; en position redressée, face à la porte du mausolée, il est ni un gisant, ni un orant ; sa veuve voulait le voir vivant comme s’il accueillait les visiteurs. Pour la petite histoire, le tombeau fut exposé à Paris avant d’être transporté ici. De chaque côté du tombeau, deux séries de deux lourdes trappes donnent accès, à une profondeur de 5 mètres, aux différents sarcophages contenant les dépouilles des deux familles. 32 emplacements furent initialement prévus. 19 sont occupés. Les noms des défunts sont gravés sur les murs latéraux faisant office de transept.
Toute la base des murs jusqu’à une hauteur de 2 m environ est recouverte des plus beaux marbres achetés aussi bien en France qu’en Italie. Les parties supérieures sont ornées de mosaïques qui rappellent l’art byzantin de Ravenne du Ve siècle (tombeau de l’impératrice Galla Placidia, femme de l’empereur Constance III). Les motifs de la coupole représentent les quatre âges de la vie, symbolisés par quatre personnages ; chacun situé dans le paysage correspondant à l'une des quatre saisons de l'année. Des inscriptions latines précisent chaque motif : Pueritia, Juventus, Maturitas et Senectus. La gigantesque croix ornant la voûte dominant l’escalier est représenté sans le Christ, dans une symbolique de victoire de la vie sur la mort. Une frise byzantine, large d'environ 50 cm, soulignée par une bande de marbre brun orangé et s'alignant sur la base des fenêtres du portique, fait le tour de l'intérieur de l'édifice et opère une transition entre les surfaces voûtées et les surfaces murales. Cette frise est un rinceau en mosaïque dont le motif (pampre de vigne avec sarments et raisins) représente un symbole funéraire d'origine romaine.
Si la décoration de l’abside est encore masquée par des échafaudages pour cause de rénovation, l’autel nous parut d’une très grande simplicité, et à vrai dire, en contradiction stylistique avec le reste du mausolée. Louis De Luca nous en donna l’explication. Lorsqu’il fallut réaliser l’autel, la veuve Faynot entreprit sur les conseils d’amis, d’aller en pèlerinage en Terre Sainte où elle trouverait les plus beaux marbres possibles. Elle embarqua sur un navire à Marseille (septembre 1906) alors qu’elle était de santé fragile. Elle décéda en mer de Sicile. Son corps fut alors immergé en Méditerranée et ne put rejoindre, de ce fait, celui de son défunt mari. Ironie de l’histoire ! Les héritiers renoncèrent à recourir aux matériaux envisagés par le veuve Faynot et optèrent pour un autel de simple facture en pierre calcaire de la région.
Après le déjeuner pris au restaurant Les Sarments, à Reims, nous allâmes visiter la chapelle Foujita, œuvre testamentaire du peintre japonais, prénommé Tsuguharu (prénom d’origine) Léonard (prénom de baptême), dont la technique picturale inspirée de l’Orient met en valeur des sujets religieux majeurs de l’Occident, en appliquant les thèmes chers à l’artiste : le don de soi, l’amour des autres et la transmission de la connaissance.
L’auteur de ces lignes relata l’existence atypique de ce peintre, artiste accompli et aux compétences multiples (il fut aussi photographe, dessinateur, couturier, graveur et céramiste). Conquis dès son plus jeune âge par l’art occidental et fasciné par la France, il s’y établit à deux reprises. La première fois peu avant la Première Guerre mondiale à Montmartre. Il y rencontra d’autres artistes étrangers fixés à Paris (Picasso, Modigliani ou Chagall par exemple). Grâce à ses fonds blancs laiteux valorisant ses modèles féminins, le succès fut rapidement au rendez-vous, lui permettant de vendre ses œuvres et de mener grand train de vie. La légion d’honneur lui fut attribuée en 1925. À partir de 1929, il entreprit un tour du monde qui contribua à renforcer sa notoriété mais aussi quelques critiques après son passage au Japon. Revenu en France après la Seconde Guerre mondiale, pour y vivre définitivement jusqu’à sa mort en 1968, il multiplia les réalisations picturales dans le domaine religieux dans un souci affirmé d’allier la culture occidentale à sa manière de peindre à la japonaise. Ce fut la période la plus marquante de son existence. Mais il dut repartir de zéro après ces années de tourmente (guerre). Il remonta cependant rapidement la pente grâce au soutien de la Maison de champagne Mumm et de son président, René Lalou. Il obtint la naturalisation française en 1955 et se convertit au catholicisme en 1959. Il conçut, alors qu’il approchait de ses quatre-vingt ans, une œuvre en forme de testament : ce fut la chapelle de Notre-Dame de la Paix, plus connue sous le nom de chapelle Foujita. Son ami et parrain, René Lalou, lui fournit le terrain à Reims. Il mena à bien son projet quasi personnellement : il dessina les plans de l’édifice (7 m sur 20 m), les vitraux (de l’Apocalypse à l’entrée du chœur et de quatre saints à l’entrée de la chapelle dont celui de Saint Léonard dont il emprunta son nouveau prénom de baptême), l’autel et, naturellement, réalisa les fresques. La chapelle fut construite en 1966. Tous les murs sont couverts de fresques. Cette technique obligea le peintre à réaliser dans la journée les modèles entamés le matin (les retouches ne sont pas permises), d’où des journées très longues.
Foujita s’inspira des représentations bibliques traditionnelles tout en les personnalisant. Il peint ainsi le Christ dans la scène de la Nativité à même le sol, étendu sur un lange blanc vers lequel converge un rayon de lumière céleste. Derrière Marie et Joseph, une foule compacte assiste à la scène. Il opta pour une succession de tableaux sans lien chronologique entre eux. La scène précédente est suivie par celle du Portement de la Croix, précédant elle-même la Cène. La scène du Portement de la Croix comporte également trois épisodes disjoints dans le temps : les adieux de Jésus à Marie lorsqu’il s’apprête à gagner Jérusalem (à gauche), Jésus souffrant à porter une lourde croix, derrière laquelle, Véronique tient un tissu marqué du visage en sueur du Christ et, à droite, Marie en train de pleurer la mort de son fils. Certaines scènes rappellent des peintres de la Renaissance, notamment Dieu et le tétramorphe, au-dessus de l’entrée de l’abside (Michel Ange). La figure du Christ traduit les messages que le peintre a voulu transmettre. Il le représente d’un air grave, résistant à la tentation, bras croisés serrés sur lui, dans la composition des sept péchés capitaux ou encore, brandissant l’étendard à la croix rouge pour marquer la victoire du christianisme. Clin d’œil à ses « sponsors » et à sa femme, il représenta Kimiyo, se dernière épouse au pied de Notre-Dame de la Paix dans l’abside ou encore René Lalou, au pied de la Croix de la Crucifixion (ainsi que lui-même).
Foujita sculpta quatre croix sur la façade, au-dessus de la porte d’entrée : deux croix latines encadrées par deux croix grecques. Derrière la grille d’entrée du petit parc, sur un socle élevé, Jésus enfant devant une croix accueille le visiteur. Cette chapelle fut certes bénie à son achèvement mais ne servit jamais de lieu de culte. Elle fut immédiatement cédée à la ville de Reims qui dispose, en plus, dans son musée des Beaux-arts, des centaines de cartons ayant servi de modèle au peintre, cédés par la Fondation Foujita après la mort de Kimiyo en 2009.Les cendres de Foujita et de sa dernière épouse reposent dans la chapelle.
La journée se termina à l’Epine par la visite de l’église, construite entre 406 à 1525, devenue basilique en 1914 (on la surnomme aussi « sanctuaire des routes » ou « basilique des champs »). C’est avant tout une église de pèlerinage dédiée à la Vierge Marie. On vient l’invoquer comme protectrice de la vie naissante et de la petite enfance. Les couples en espérance d’enfant ou en grâce de guérison là où la vie a été blessée viennent s’y recueillir. Autrefois on recherchait aussi « le répit » : l’espoir qu’un nourrisson mort-né revienne à la vie un court instant, le temps de le baptiser afin de lui éviter le séjour dans les Limbes. L’Epine est aussi une étape sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.
L’Epine est un village en pleine campagne champenoise dont le nom fait référence aux buissons d’épines ou d’aubépines qui autrefois marquaient les limites entre deux paroisses (ici Melette et Courtisols). Une chapelle déjà dédiée à la Vierge Marie existait au même endroit depuis l’an 1200. Rien de particulier ne s’y passait cependant : pas de pèlerinage. Comment expliquer un regain d’intérêt deux cents ans après ? En effet, en 1405, l’évêque de Chalons sur Marne, intrigué par les dons qui affluaient dans ce qui n’était encore qu’une petite église, interrogea les paroissiens à ce sujet. Ceux-ci parlèrent « d’un pèlerinage immémorial » ; en réalité son apparition était toute récente. Un érudit local, Edme Baugier, relata en 1721 les circonstances de la découverte de la statue à l’origine du pèlerinage : « en l’année 1400, la veille de la fête de l’Annonciation, un berger de la ferme conduisant son troupeau vers la chapelle, aperçut, au milieu d’un gros buisson d’épines, une lumière extraordinaire. Il reconnut une petite image [statue] de la Vierge tenant son Fils entre ses bras ». L’histoire de ce nouvel édifice cultuel et du pèlerinage est mieux connue grâce aux recherches de Jean Baptiste Renault, de l’université de Lorraine, qui publia en 2020 un ouvrage complet sur le sujet : « Marie au buisson ardent Notre-Dame de l’Epine ».
Toujours est-il que les dons affluèrent très rapidement au point qu’un ambitieux projet de construction d’une véritable « cathédrale » en pleine campagne fut conçu. Un peu plus d’un siècle fut nécessaire pour sa réalisation en style gothique flamboyant. Peu de modifications depuis l’origine, nonobstant la démolition de la tour nord, à la Révolution, afin de permettre l’installation du télégraphe de Chappe. Napoléon III finança de ses propres deniers la reconstruction de la tour dans une élévation plus modeste cependant que sa vis-à-vis d’origine (tour sud). Des visiteurs de marque ne manquèrent pas, à commencer par une série de rois dont Louis XI qui permit, par son don de 12000 écus d’or, la construction des deux tours d’origine. Citons également Charles VII, Henri II, Louis XIV, Napoléon I et III, Charles X, Louis-Philippe et le futur pape Jean XXIII. Notre-Dame de l’Epine a toujours frappé les voyageurs et inspiré les écrivains comme Victor Hugo, Alexandre Dumas ou encore Paul Claudel. La façade, quelque peu assombrie par la mousse du fait de son exposition plein ouest, est d’une composition harmonique comportant trois portails. Au-dessus du portail principal, un immense Christ en croix accueille fidèles et pèlerins. Entre ce portail et celui de droite, une curieuse inscription annonce l’assassinat d’Henri IV (14 mai 1610). Les troupes royales stationnaient à ce moment là dans la région. La façade est ornée de multiples gargouilles, d’habitude situées à la base des toits pour l’évacuation des eaux pluviales. Ici elles ont aussi la mission d’empêcher « les mauvais esprits de pénétrer dans le sanctuaire ».
L’intérieur est marqué par la présence du jubé (XVIe siècle), élément rarement conservé de nos jours dans les églises. Couronné d’une balustrade ajourée avec épines, il servait à proclamer l’Evangile à une époque où les moyens de sonorisation n’existaient pas. Autrefois les mariages avaient lieu sous le jubé. Une copie de la statue de la Vierge à l’Enfant est placée sur le côté droit du jubé.
Au-dessus du jubé, la « Poutre de Gloire » présente le Christ en croix couronné d’épines. A ses extrémités, la croix fleurit en fleurs de lys (symbole marial) qui annoncent que « la vie jaillira de la mort par la Résurrection ». Au pied de la croix, la Vierge Marie et saint Jean Baptiste. A l’entrée du chœur, à gauche, le puits d’origine (26 m de profondeur), destiné à la construction de l’église, est toujours en place. Ses vertus « miraculeuses » en ont fait un autre point d’attraction des pèlerins au point qu’il porte depuis le XIXe siècle le nom de « puits de la Sainte Vierge » surmonté d’une couronne. Au-dessus du puits, l’orgue Renaissance dont le buffet comporte les quinze panneaux de bois sculptés d’origine : au centre, sept sont au motif de divinités romaines, représentant les sept jours de la semaine, encadrés de chaque côté par quatre panneaux représentant autant d’apôtres.
Le Chœur recèle pour sa part un tabernacle reliquaire (1547) ; cette petite construction en pierre a la forme d’une châsse hérissée de pinacles et d’une flèche imitant la grande flèche sud de la façade. A l’intérieur, un siège et un coffre. Sur le mur : une fresque représentant Marie entourée de symboles bibliques. Ouvert sur le déambulatoire par une fenêtre et une porte, le Trésor servait autrefois à présenter aux pèlerins les reliques de la sainte Croix, du saint Lait de la Vierge et à recevoir les offrandes. Une partie de l’édicule, séparée par une cloison, servait alors de tabernacle. Aujourd’hui, le tabernacle reliquaire est le lieu où les pèlerins déposent leurs intentions de prière. À voir aussi dans le chœur la mise au tombeau (auteur inconnu), remarquable réalisation datant de 1550 avec ses personnages saisissant de réalisme et de détails. Cette sculpture provient du couvent des Cordeliers à Chalons, achetée par l’église de l’Epine à la Révolution.
Les vitraux sont d’époque contemporaine (XIXe-XXe siècles). Ils abordent la vie du Christ et de la Vierge. A noter aussi, le vitrail consacré à Jeanne d’Arc, sanctifiée au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Une journée bien remplie qui nous permit de découvrir quelques joyaux – insolites- de la Champagne.
Gérard Colotte
Photos Dominique Mayer