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Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains
38-48 Rue Saint Bernard

57000 METZ

 

Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains
Renaissance du Vieux Metz et desPays Lorrains

Quartier de la Petite Pologne - Blénod-lès-Pont-à-Mousson Jeudi 12 juin 

Par un très chaud après-midi, RVMPL se rendit dans la petite ville des célèbres fonderies de Pont-à-Mousson, connues pour ses fabrications de tubes et de plaques d’égout, mais qui disposa aussi au XXe siècle d’une cokerie, d’une briqueterie et surtout de hauts-fourneaux (remplacés aujourd’hui par un four à induction). Cette entreprise servit de trame de fond à l’évocation de la présence polonaise dans la cité et à l’empreinte que ces immigrés ont laissée sur la vie locale, notamment dans leur quartier Saint-Epvre. Notre guide, Michèle Camus, nous conta, dans un premier temps, à l’ombre bien venue, du monument aux morts de la Première Guerre mondiale (le front se situait à très peu de distance de l’endroit : les combats de Bois-Le-Prêtre), l’histoire des « Fonderies ». La création de l’entreprise en 1856 faisait suite à la découverte par hasard dans le secteur de Marbache d’un gisement de minerai de fer en 1850. Cette première société fit rapidement faillite et fut rachetée par Xavier Rogé et de nombreux associés dont Camille Cavalier. L’entreprise dut toutefois restructurer son capital après la guerre de 1870 et développa considérablement ses activités à partir des années 1880 lorsque ce dernier prit les commandes de l’entreprise. Société longtemps indépendante, celle-ci fusionna en 1970 avec Saint-Gobain.

 

De cette longue histoire, notre guide choisit de nous plonger dans l’entre-deux-guerres, plus précisément dans l’année 1931, en nous faisant endosser le rôle de journalistes parisiens découvrant une région et posant des questions à son Excellence, l‘ambassadeur de Pologne (Alfred de Chlapowski). Il était venu à Blénod s’enquérir des conditions de vie de ses compatriotes qui firent le choix de la France au lendemain de la Première Guerre mondiale.

 

L’émigration vers la France de Polonais de Pologne (pays nouvellement créé au lendemain de la guerre) et de Westphalie (on les appelait les Wesphaliens, établis dans l’ancien Reich allemand depuis la fin du XIXe siècle, en particulier dans la Ruhr, main-d’œuvre donc déjà  formée…) fut planifiée (Mission française de la main d’œuvre) et relayée sur place par un Office d’émigration. Mais surtout, elle fut organisée par le patronat français et la Société des agriculteurs de France qui se répartissaient la main d’œuvre. Le besoin de main d’œuvre dans l’industrie et l’agriculture étaient immenses après l’hécatombe de la Grande Guerre (1.4 millions de morts, sans compter les innombrables blessés). Un bilan global pour la France fait état de la présence de 500 000 Polonais en France en 1931. Cette précision nous fut rapportée par Richard Siebert. Pour le secteur de Blénod, il y avait 1044 salariés d’origine polonaise (pas seulement dans les Fonderies) soit, en tenant compte des femmes et des enfants, plus de 2200 personnes. De fait, Blénod ne ressemblait en rien au village rural du XIXe siècle (400 hab. en 1800). En 1931, la ville comptait 4000 âmes.

 

Cette main d’œuvre était à la recherche de travail : la Pologne n’avait pas encore modernisé son économie, les terres dans l’agriculture ne pouvaient supporter de nouveaux partages familiaux et les Westphaliens espéraient de meilleures rémunérations et considération. Elle arrivait à  Toul avant d’être répartie selon les besoins. En effet, Toul était le centre de regroupement (on parla du « dépôt de Toul ») où les arrivants passaient un contrôle médical rapide, étaient vaccinés, fichés puis envoyés suivant la demande, parfois très loin par exemple dans le nord (Artois) ou …..à Blénod. Bernard Pignon, notre dévoué collaborateur, indique que malheureusement certains arrivants décédaient à Toul et on peut retrouver leur tombe au cimetière. La cellule familiale (père, mère et enfants) n’était pas séparée mais 2 frères par exemple pouvaient l’être. Ils restaient en contact par voie postale. Souvent, les femmes seules étaient placées dans des fermes.

 

 

Michèle Camus nous fit état d’une découverte toute récente de 800 graffitis dans un ancien bâtiment à  Toul ayant servi d’accueil aux Polonais. Une bonne partie des inscriptions (noms, prénoms, ville d’origine) sont en cours de restauration à Metz avant de trouver un local d’exposition (non encore établi).

 

Les Polonais jouissaient d’une excellente réputation, parfois très bien organisés avec associations avant leur départ (Wesphaliens) : travailleurs et solidaires entre eux, ils constituaient une main d’ouvre stable. De plus leur intégration, réussie à Blénod selon Michèle Camus, résidait pour une bonne part dans les avantages que leur concédait l’entreprise des Fonderies : des salaires équivalents à ceux des ouvriers français, des cours de français et, pour les plus jeunes, de polonais (le jeudi matin), des cours de religion (catholique) par des prêtres polonais (appelés aumôniers). Il fallait compter aussi sur les  associations de musique et chants que cherche à perpétuer l’association Wieliczka depuis 25 ans, ainsi que sportives, mises sur pied grâce au soutien du patronat.

 

Nous nous dirigeâmes ensuite vers l’église Saint-Etienne dont l’intérêt réside dans la présence d’un ancien clocher roman du XIIe siècle, accolé à l’église. Ce puissant clocher offre, sur chacune de ses faces, deux baies géminées en plein cintre, soulignées par un cordon de billettes (ornement formé de petits parallélogrammes espacés). L’édifice actuel résulte d’une importante restauration au XIXe siècle. L’intérieur se présente comme un vaisseau unique, voûté transversalement et relativement sombre. Néanmoins, d’intéressants vitraux, datant de l’après-deuxième guerre mondiale,  sont à voir, notamment celui offert par la communauté polonaise à la paroisse. Il est dédié à la Vierge Noire Notre Dame de Czestochowa; les enfants à ses pieds sont présentés dans différents costumes régionaux. Il fut réalisé par les frères Benoit en 1948.

 

Nous traversâmes quelques rues d’un des deux quartiers «polonais » (Saint Epvre) (l’autre étant celui des Gibotins, non visité). Au passage, un arrêt fut marqué devant l’ancienne école de filles, construite dans les années 30 en style Art Déco, les locaux de la mairie ne suffisant plus devant l’accroissement de la population scolaire bellédonienne. Les garçons n’eurent droit qu’à des préfabriqués ! Avant de gagner la Dom Polski, cité ouvrière typique qui, pour l’anecdote, ne fut jamais occupée par des familles polonaises. La commune propriétaire des lieux la loue à l’association Wieliczka. Nous fûmes accueillis par deux de ses membres que la présidente de l’association, Mme Francine Calmès, venait de rejoindre. Elles portaient le costume traditionnel polonais et nous offrirent rafraîchissements (bien venus) et pâtisseries polonaises :

Le Placek, gâteau au levain que l’on distribuait le jour du mariage  à tous les voisins (à base de raisins, de pommes, etc.)

La Babka au citron (brioche torsadée garnie de chocolat et cuite dans un moule droit ; à l'origine, il était réalisé sous forme d'une couronne).

Le Piegusek (gâteau au pavot)

Les Pączki (beignets polonais)

Ils furent réalisés par une autre membre :Catherine Koscielny qui les façonne à Pont-à-Mousson dans sa pâtisserie (Bab’Kasia)

 

Nous eûmes l’occasion, en entrant dans la cité, de nous rendre mieux compte des conditions de vie de cette époque révolue : une pièce centrale servant de cuisine et salle à manger et, de chaque côté, deux chambres. Mais à l’époque, tout était dédoublé si bien que la pièce à vivre était fort réduite et chaque famille ne disposait que de deux chambres. Un espace vert ceinturait la cité, au fond duquel se situaient les toilettes et des appentis. Cet espace servait de jardin.

 

Le temps passa si vite que nous ne nous aperçûmes pas avoir passé plus de trois heures dans le quartier ! Nous jouèrent notre rôle de « journalistes parisiens » fraîchement débarqués de la capitale et les questions fusèrent. « Son Excellence l’ambassadeur », par l’intermédiaire de Michèle Camus, sut  y répondre. Le comité d’accueil en fut aussi pour quelque chose. Qu’il soit remercié pour sa gentillesse, ses gestes de bienvenue et, surtout, de nous avoir fait découvrir une page méconnue de l’immigration dans l’entre-deux-guerres.  Une visite à recommander pour ceux qui ne connaîtrait pas cette histoire.

 

Gérard Colotte

Photos Dominique Mayer