Le temps menaçant au départ de Metz nous fit craindre le pire pour cette journée où la majeure partie du programme se déroulait en extérieur. Nous fûmes cependant épargnés par la pluie, hormis quelques gouttes de pluie de-ci, de-là.
A Autrey, frère Syméon nous servit de guide pour l’église abbatiale et surtout pour son jardin, classé « Jardin remarquable » (label attribué pour cinq ans et renouvelable). De nos jours l’ancienne abbaye est occupée par la Communauté des Béatitudes.
L’édifice que nous visitâmes remonte au XVIIIe siècle. Il venait alors de traverser bien des siècles difficiles pendant lesquels, l’abbaye connut alternativement prospérité et malheurs. Fondée en 1149 par le cardinal Etienne de Bar, évêque de Metz, sur un plan cistercien, elle connut deux moments particuliers, au XVIe siècle (guerre du Téméraire) et XVIIe siècle (guerre de Trente ans). De la reconstruction suite à la guerre contre les Bourguignons, il en reste la chapelle Renaissance Saint Hubert, unique chapelle Renaissance au nord des Alpes et haut lieu de pèlerinage autrefois. L’essentiel de l’abbaye fut construit entre 1704 et 1707, sur les ruines de l’ancienne. En 1738, la flèche, surmontant la croisée de transept qui menaçait de tomber en ruine, fut déposée et ne fut remontée qu'en 2008 à l'occasion du projet de restauration.
Loquace, frère Syméon nous relata le sort de l’abbaye depuis la révolution ; un ouvrage entier pourrait lui être consacré. Vendue en 1791 au maître des forges, Joseph Colombier, l’église est alors transformée en tréfilerie ; le transept est séparé du reste de la nef par un haut mur ; un canal traverse dès lors la nef. L’affaire tournant finalement au fiasco, l’usine est abandonnée au milieu du XIXe siècle ; dix ans plus tard, en 1858, l’évêque de Saint Dié récupère l’édifice et y installe le petit séminaire (jusqu’en 1905, date de l’expulsion des Pères à la suite de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat). Au XXe siècle, l’abbaye devient hospice, puis infirmerie (1ère guerre) puis à nouveau petit séminaire avant d’être occupée par les Allemands (2e guerre). Après de tels troubles, des travaux de restauration s’avéraient nécessaires pour lui trouver une nouvelle jeunesse. Ce faisant, les travaux mirent à jour les vestiges de la Salle Capitulaire et du cloître de la première abbaye qui fut classée derechef "Monument Historique" (1955).
Nous nous rendîmes ensuite au Jardin remarquable, par son étendue (4 ha) et surtout sa composition : plus de 3500 variétés d’arbres, d’arbustes, de rosiers, de plantes vivaces et de plantes de terre acide, provenant de tous les continents, dont la composition reflète entièrement les choix de frère Syméon. Ce dernier nous conta les surprises lors des travaux d’aménagement : furent ainsi découvertes, de manière fortuite, une croix datée de 1806 ou encore une terrasse pavée. Un véritable paradis de senteurs et de couleurs, placé sous la protection de Saint Fiacre, patron aussi des jardiniers, dont une statue se cache au cœur d’un arbre.
Un après-midi copieux nous attendit : quatre sites étaient au programme ; les deux premiers se trouvaient très proches l’un de l’autre, permettant aux deux demi-groupes d’alterner sur les sites sans perte de temps.
La Bibliothèque Municipale Intercommunale d’Epinal (BMI) conserve, dans des meubles en chêne du XVIIIe siècle (classés Monument Historique) provenant de l’ancienne bibliothèque de l’abbaye vosgienne de Moyenmoutier, plus de 25 000 ouvrages, notamment 91 incunables et plus de 200 manuscrits du Moyen Age. Au centre de la salle, nous admirâmes un globe manuscrit tout à fait remarquable. Ce globe fut réalisé par Etienne Fortillier, principal du collège de Mirecourt en 1823 et acheté par la mairie en 1828. L’originalité du globe est qu’il est entièrement manuscrit et qu’il est constitué de 38 fuseaux en papier vergé, collés à même la boule en bois. L’auteur pouvait ainsi plus facilement modifier des contours ou ajouter des terres en fonction des découvertes récentes.
L’abbbaye de Moyenmoutier, une des plus importantes de l'ordre des Bénédictins, doit son appellation à sa situation géographique de « monastère du milieu », les extrêmes étant les abbayes de Senones et d’Etival. Elles composaient la « Croix sacrée de Lorraine » dont le cœur était à Moyenmoutier. Si l’abbaye fut fondée en 670, la présence de la bibliothèque est attestée dès 950. Ce que l’on vit, c’est le fruit d’un travail acharné de Dom Hyacinthe Alliot qui, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, entreprit de rassembler les savoirs élargis à toutes les disciplines : théologie, histoire, droit, archéologie, médecine… Dom Calmet poursuivit le travail de son prédécesseur et structura la collection selon un classement thématique. Un problème de place se posa très rapidement, résolu par Dom Barrois au milieu du XVIIIe siècle en aménageant une nouvelle bibliothèque dans une salle de 35 m de long sur 14 m de large et plus de 4m de haut. Elle comptait alors plus de 11 000 volumes. C’est cette bibliothèque que nous vîmes à Epinal.
Entre temps, elle connut bien des pérégrinations. A la révolution, les biens ecclésiastiques furent confisqués, avec, pour les bibliothèques, la double peine car le livre était perçu comme le symbole du savoir alors détenu par les religieux et par la noblesse. Mais la taille imposante de la bibliothèque de Moyenmoutier interdisait tout déplacement vers Epinal, point de concentration retenu par les Révolutionnaires, sans avoir préparé un lieu d’accueil (ce fut probablement sa planche de salut !). Il fallut attendre la Restauration – époque plus apaisée- pour que le mobilier et les livres migrent ensemble vers le chef lieu des Vosges. En 1905, ils sont installés à la Maison Romaine, rachetée à sa propriétaire. Celle-ci (Mme Leclerc), héritière des Grands Moulins de Strasbourg, s’était fait construire cette villa à la mode antique ! Ce n’est qu’en 2009 que les boiseries et les livres trouvent leurs nouveaux locaux au sein de la BMI.
L’autre site visité à proximité fut la Glucoserie. C’est un centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine des pays spinaliens, installé dans la maison de maître d’une ancienne glucoserie (fabrique de sirop), qui lui a donné son nom.
A l’intérieur, la guide nous parla d’architecture, de paysages, d’usines, de châteaux-forts, de maisons, de rivières, etc… Une visite courte mais très enrichissante pour qui ne connaissait pas la région et son passé. Une exposition temporaire sur la reconstruction d’Epinal au lendemain de la Seconde guerre mondiale venait compléter le programme.
Nous nous rendîmes en milieu d’après-midi sur la rive droite de la Moselle, dans le quartier de la gare, afin de visiter la petite église Notre-Dame-au-Cierge. L’auteur de ces lignes débuta la visite par un rappel du premier édifice, en construction dès 1901 et achevé en 1938 seulement. Il fut totalement détruit lors d’un bombardement en 1944. La dédicace de l’édifice trouve son origine dans les péripéties qui entouraient la statue depuis sa découverte, fortuite, le jour de la Saint Crépin (25 octobre) 1778. Ce jour-là, après plusieurs jours de pluies intenses sur les Vosges, la Moselle déborda, emportant tout sur son passage, déposant, miraculeusement, une statue en bois représentant la Vierge Marie, dans la grange du tonnelier Georges Durand. Celui-ci l’exposa sur la façade de son établissement, créant un « torrent de dévotion » ! Le bras gauche de la statue ayant perdu l’objet qu’il supportait auparavant, l’habitude se prit d’y placer une bougie,d’où son nom. Un de ses descendants l’offrit au premier curé, Eugène Curien, de la nouvelle paroisse de Notre-Dame-au Cierge, en 1905. Déjà la construction affichait des principes novateurs, tels que l’emploi du béton armé, qui la fit déclarer édifice remarquable du diocèse.
Le quartier ayant particulièrement souffert des bombardements alliés en 1944, il fallut repenser tout l’urbanisme spinalien et accorder des priorités au logement. C’est la raison pour laquelle, une baraque-chapelle tint le rôle de nouveau lieu de culte, en attendant l’édification d’une nouvelle église. Celle-ci fut consacrée en 1958.
D’apparence anodine en extérieur, Notre-Dame-au-Cierge revêt une modernité particulière que rendit possible l’emploi du béton armé, libérant de vastes espaces pour le culte ; ici nef unique et chœur sont confondus. Tout a été conçu pour que la lumière, captée de tous les côtés, ait valeur de symbole. Lorsque nous pénétrons dans la nef, la lumière latérale est diffusée par des vitraux que l’on découvre au fur et à mesure de l’avancée vers le chœur.
Nous sommes en pleine révolution liturgique au sein de l’Eglise catholique (le concile de Vatican II en scellera les contours officiellement quelques années plus tard). La méditation prenait le pas sur l’ostentation ornementale traditionnelle. On peut dire que l’église était en avance sur son temps. Pour concrétiser la nouvelle approche, l’architecte Jean Couzillard, fit appel à deux célébrités en matière d’art sacré : Gabriel Loire pour les vitraux et Léon Leyritz pour les sculptures.
Le premier, vitrailliste formé à l’école de Chartres, était déjà célèbre pour ses réalisations aussi bien en France qu’à l’étranger (il réalisa notamment les vitraux de l’église du Souvenir à Berlin). Ici, il dessina les plans de tous les vitraux de l’église, aussi bien ceux du chœur que ceux de la nef. C’est l’immense vitrail du chœur qui retint notre attention : d’une surface de182m2, occupant toute la largeur du chevet plat, il représente, en 17 scènes, la vie de la Vierge Marie, inspirée des évangiles canoniques mais aussi de textes apocryphes. Il se lit généralement de haut en bas et en diagonale à partir du côté de la sacristie (à l’ouest). Gabriel Loire a renforcé la composition en introduisant quelques symboles comme un chien (fidélité) un cœur brûlant (amour), deux alliances (mariage de la Vierge et de Joseph), une licorne au-dessus de l’Annonciation ou encore une passiflore (plante grimpante) autour d’une Croix.
Le second artiste qui marqua de son empreinte l’église est le décorateur et sculpteur parisien, Léon Leyritz. Ce dernier réalisa la porte d’entrée appelée « Portail d’honneur » où le Christ brille sur le monde avec ses paroles, sa croix et les stigmates de ses souffrances. Il se compose d’une croix en noir et blanc qui fait le lien entre l’Univers (Soleil, Lune, arc en ciel et les sept planètes connues dans l’Antiquité), et le monde terrestre (gerbe de blé, symbole marial). L’autre chef d’œuvre du même artiste se trouve à l’intérieur de l’église, sous la forme de sculptures métalliques représentant le chemin de croix. Il présente la particularité de ne monter le Christ en chair que dans les première et dernière scènes (descente de croix et mise au tombeau).
La fin d’après-midi fut consacrée au quartier de la basilique Saint-Maurice, cœur de la cité historique (la basilique et la place des Vosges). La tour-porche d’une des entrées de l’édifice servit de cadre à un rappel sur les origines de la cité dont le nom provient d’un lieu-dit (Spinal) où l’évêque de Metz, Thierry de Hamelant, fit construire, à la fin du Xe siècle, une église ; il la dota des reliques de saint Goëry neveu de saint Arnould et évêque de Metz. Une abbaye vit rapidement de jour, remplacée plus tard par une collégiale de chanoinesses, issues de l’aristocratie (elles n’étaient pas soumises au devoir du célibat). La basilique actuelle remonte au XIIIe siècle (en remplacement d’une église romane du XIe siècle) et subit des modifications ultérieures. Elle servit à la fois d’église paroissiale et d’église collégiale. Les bourgeois assistaient aux offices en entrant par un portail latéral (dit portail des bourgeois), tandis que les chanoinesses, séparées des fidèles par un jubé, y entraient par une porte donnant sur le chœur.
La tour-porche par laquelle nous entrâmes dans l’édifice, ne possédait pas d’ouverture au Moyen Age ; elle servait, à l’intérieur, de chœur pour les paroissiens ; à son sommet, un gardien avait la charge de surveiller les alentours afin de prévenir la population de tout danger (ennemi, feu). Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’on perça l’actuel portail néo roman. Sur le plan architectural nous nous rendîmes compte de l’importance du chœur, aussi long que la nef toute entière. L’édifice porte les traces de toutes les époques de construction : roman et gothique se côtoient. Les tribunes, à la croisée du transept, destinées autrefois aux personnes de haut rang, remontent à l’église du XIe siècle. Cette église possède un certain nombre de mobiliers intéressants : un ensemble de châsses (saint Goëry, saint Maurice et saint Auge, ermite spinalien), une très belle mise au tombeau datant de la fin du XVe siècle, une Vierge à l’Enfant dite Vierge à la rose du XIVe siècle ou encore les statues de saint Maurice et de saint Goëry.
Nous rejoignîmes la place des Vosges par le portail des bourgeois, de style gothique. Cette place doit son nom au fait qu’Epinal a été le premier des départements pour le paiement des contributions et l’envoi de volontaires à l’appel de la patrie en danger (1792-93). Auparavant elle s’appelait place du Poiron (par déformation de poirier qui trônait au centre) ou du Pairon (terme dérivé de perron ou pilori présent au centre de la place). Les avis divergent toujours sur l’origine du nom.
C’était le cœur (politique, économique) de la cité bourgeoise où se tenait le marché (tradition maintenue). De cette époque lointaine, il reste une série d’arcades, de style Renaissance, qui permet de s’abriter du soleil et de la pluie. Les plus anciennes demeures ayant survécu aux aléas des temps (la ville fut en grande partie détruite par les troupes de Louis XIV), sont peu nombreuses ; signalons l’ancienne maison du papetier Ame Geninet, appelée à tort, maison du bailli et construite en 1604 dans un très beau style Renaissance. Son nom de maison du bailli provient du fait qu’étant un très riche bourgeois, il fut envoyé par le bailli au devant du duc de Lorraine, Charles IV, en quête de nouvelles ressources financières, plaider la cause de la cité afin de lui éviter des taxes en tous genres. Nous vîmes une très belle construction Art Nouveau (1904), occupée par une pharmacie et à proximité, l’ancien siège du bailliage (1751) devenu Hôtel de ville.
Le temps a manqué pour découvrir le quartier des chanoinesses situé entre la basilique et les vestiges des remparts médiévaux. Les embarras de circulation, provoqués par une cérémonie militaire, à la source de bouchons, retardèrent notre retour sur Metz.
Gérard Colotte