Visite du fort Driant ( Feste Kronprinz) à Ancy-sur-Moselle
C’est à un épisode oublié de l’histoire de la Libération de Metz par les soldats de la IIIe armée du général G. Patton que nous a convié M. Jacques Noël, président de l’Amicale du fort Driant et toute son équipe de bénévoles, durant tout l’après-midi du 2 juillet à travers la visite du fort Driant. Celle-ci fut placée sous le double regard de l’évolution de sa fonction depuis ses origines et des destins tragiques des soldats américains et allemands qui s’y sont entretués entre septembre et décembre 1944.
Sur le premier point, M. Noël a insisté sur le côté « colossal » du fort, baptisé Feste Kronpinz (du nom du fils et prince héritier de Guillaume II) dont le gros œuvre, débuté en 1898 fut achevé en 1905 ; les ouvrages furent à la mesure de leur fonction de défense de l’Empire allemand (le fort fit partie de la 2e ceinture fortifiée de Metz, elle-même intégrée à la Moselstellung). Les infrastructures sont enterrées et disséminées sur 144 ha, reliées entre elles par des centaines de mètres de galeries souterraines, protégées par d’épaisses couches de béton armé ; les chiffres sont impressionnants : la colline dominant la vallée de la Moselle au sud de Metz, fut arasée sur 12 m (soit l’équivalent de 450 000 m3 de terre) ; le sable était acheminé par funiculaire depuis la vallée de la Moselle ; Le groupe fortifié comprenait 4 batteries d’artillerie (2 au nord, 2 au sud) pouvant envoyer des projectiles à plus de 10 km, cinq casernes pouvant accueillir 1800 hommes ainsi que de nombreux autres points fortifiés. Le coût global est estimé à 17 millions de franc-or (contre 6 pour Douaumont bâti à la même époque). Durant la 1ère guerre, le fort ne servit que comme base d’entraînement à la prestigieuse Ecole Militaire de Metz. Puis les Français en firent une base d’entraînement pour leurs pilotes de chasse basés à Frescaty entre les deux guerres, non sans avoir rebaptisé le fort du nom du colonel Driant tombé au bois des Caures en février 1916. Réoccupé par l’armée allemande dès 1940, il abrita l’usine d’aviation de Woippy qui avait été visée par des raids de l’aviation alliée (juillet-août 1944) ; des déportés de l’Est y servirent de main d’œuvre. Après la seconde guerre, ce terrain militaire servit tour à tour de pôle de destruction des engins explosifs de la région, de centre d’entraînement de la garnison de Metz avec un parcours à risque ; à la fin du XXe s, il est abandonné mais reste toujours dans le domaine militaire (l’armée y revient parfois ainsi que le GIGN) ; en 2013, l’Amicale du fort Driant est créée. Enfin, le site bénéficie du label Nature 2000.
L’Amicale du fort Driant s’efforce avec de faibles moyens de redonner vie à cet ensemble fortifié et à faire partager aux visiteurs les moments tragiques qui s’y sont déroulés à l’automne 1944 ; la ténacité de ses membres a permis de reconstituer, au gré des découvertes et grâce aux témoignages des vétérans américains, des épisodes humains qu’un abandon définitif des lieux aurait perdu à jamais ; du côté allemand, M. Noël déplore un manque d’intérêt de la part des familles des combattants.
Commentaires des photos :
01 - Plan du fort |
Plan du fort avec le chemin de notre visite (tirets rouges) |
02 - Départ groupe |
Le groupe attentif aux consignes de sécurité à respecter durant la visite |
03 - Notre guide |
Notre guide JACQUES Noël, président de l’Amicale et inénarrable conteur. |
04 - Bloc central du fort |
Bloc central du fort |
05 - Maquette du fort |
Maquette du fort (exposé dans la caserne 5) montrant une colline arasée d’où les éléments fortifiés émergent très légèrement ; les arbres ne servent que de décor. |
06 - Telepherique |
Téléphérique ayant relié les sablières creusées près du village d’Ancy sur Moselle au Feste Kronprinz. |
07 - Entrée du fort |
Entrée du fort, alors en cours de construction. Photo datée du 16 août 1902. |
08 - Villa origine |
Villa (cliché d’origine) : située sur les hauts du fort, elle abritait les architectes du temps de la construction puis l’officier responsable du fort. |
09 -Villa vestiges |
Vestiges fantomatiques de ce que fut la Villa. |
10 – Groupe récit |
Pas de légende |
11 - Végétation sur le chemin |
La végétation occupe encore de vastes espaces. |
Tout au long du parcours depuis les « hauts du fort », servant de parking jusqu’à la caserne n°5, M. Noël s’efforça de nous faire imaginer avec moult documents et anecdotes, ce à quoi pouvait ressembler le fort à sa construction, tant certains secteurs avaient été modifiés au cours du temps. Mais surtout, chaque arrêt fut l’occasion pour notre guide d’évoquer la dureté des combats qui mirent aux prises 250 Allemands du capitaine Weiler aux troupes du général Patton à partir du 10 septembre 1944, date à laquelle les défenseurs, fanatisés pour la plupart, firent un carnage parmi les troupes US qui tentaient de franchir la Moselle à Dornot. Au total, les trois premières tentatives d’investigation du fort échouèrent, occasionnant de lourdes pertes, surtout côté américain du fait de leur méconnaissance précise des lieux et malgré l’appui de l’aviation (la construction étant très solide) et des blindés (encaissement et étroitesse des voies) ; le plan échafaudé par G. Patton, validé par le GQG US (envoyer des projectiles incendiaires par le sommet des casemates qu’auraient percées des bombes à fragmentation) se révéla totalement inefficient. Il fallu attendre la mi-octobre pour que les troupes pénètrent enfin dans l’enceinte du fort et progressent pas à pas, au prix de combats rapprochés violents, au milieu de déluges de feu ; s’enterrer dans des trous, creusés à la hâte, s’y tenir parfois plusieurs jours durant, sans possibilité de repli, devenait un impératif ; nombreux sont ceux qui y laissèrent leur vie…. Leur emplacement, retrouvé grâce à des témoignages de vétérans et de découvertes fortuites d’ossements et/ou d’objets personnels (comme une rangers qui « ressort » du sol) est marqué par une croix ou un petit monument surmonté d’un casque (avec nom et photo parfois) ; mais certains corps déclarés disparus en 1945 ne furent jamais découverts….
La visite de la caserne n°5 constitua le point final de notre visite ; on put y voir les modifications intervenues au cours du temps ; M. Noël se plut à nous conter comment le nom même de caserne pouvait traduire les changements de propriété des occupants des lieux : l’appellation originelle de Kaserne 5 fut martelée pour être francisée (en 1919) en Caserne 5 qui, à son tour redevint, en 1940, Kaserne 5. Mais le « K » effacé, après 1945, n’eut pas le temps d’être remplacé ! A l’intérieur des locaux restaurés par l’Amicale au prix de travaux colossaux, un musée regroupe des pièces retrouvées sur le site du fort, ou récupérées ailleurs, au milieu de restes de l’usine d’armement voire chez des habitants. Dans une des salles sont accrochés les portraits de combattants qui, après la guerre, n’hésitaient pas à entreprendre un pèlerinage (ou un de leur descendant) sur les lieux de leur combat et à conter leur expérience ; nous pûmes voir notamment celui du dernier survivant, Dominick D. Santagata, âgé aujourd’hui de 98 ans ! Parmi les nombreux récits qui se rapportaient au lieu, il en est un qui marqua notre attention ; celui de Tom Parker ; après avoir pénétré dans l’enceinte de fort et s’approchant de la caserne 5, il s’appuya sur la grille devant l’entrée ; le gardien US n’ayant pas reconnu son insigne, sans doute paniqué dans ce climat de combat continu, le visa ; la balle ricocha heureusement sur la grille, ce qui lui sauva ainsi la vie ; le vétéran, en pleurs, conta sa mésaventure aux membres de l’Amicale lors d’une de ses visites ; eux-mêmes émus jusqu’aux larmes décidèrent de scier la section du barreau métallique qui avait reçu l’impact de la balle et la lui envoyèrent aux États Unis.
Les membres de l’Amicale eurent la gentillesse de nous offrir un « Niagara de fraîcheur aqueuse » (bienvenu) après les longues heures passées au soleil ; la visite se termina par une « photo de groupe ». L’après-midi passé au fort Driant restera dans les annales de RVM et nous ne pouvons que souhaiter à l’Amicale du fort (amicaledufortdriant@gmail.com / 06 62 73 16 71) qu’elle puisse être enfin reconnue pour son œuvre patrimoniale et bénéficier d’encouragements de la part des autorités.
Commentaires des photos :
12 - Tombe Mc Gregor Lewis Dilello |
Trou de combat individuel devenu la tombe des soldats Charles Mc Gregor et Lewis Dilello, morts le 4 octobre 1944 et dont des ossements ont été retrouvés en 1968. |
13 - Lieu de mort de Casimir Lobacz |
Grâce aux récits de vétérans, le lieu où mourut le soldat Casimir Lobacz dont la tête fut emportée par un tir de mitrailleuses est marqué par une croix ; le corps enterré à St Avold (cimetière américain) doit être rapatrié aux EU. |
14 - Abri bétonné individuel |
Abri bétonné individuel : les Allemands avaient prévu, dès avant 1914, ces petits refuges au cas où des défenseurs, hors des casemates, seraient pris pour cible par l’envahisseur. |
15 - Fortin capture |
fortin pris et repris 7 fois ; il fut le théâtre d’une capture de 48 Américains (Officiers et simples soldats) par 5 Allemands qui eurent la surprise de ne voir aucune sentinelle alentour et tous les fusils posés contre le mur extérieur du blockhaus ! |
16 - Blockhaus tentative de pénétration |
A partir de ce blockhaus, les Américains tentèrent de progresser à l’abri d’un souterrain mais furent bloqués par des portes blindés qu’ils ne parvinrent pas à dynamiter. |
17 - Escargot |
Poste d’observation en escargot : du sable était coulé entre 2 plaques métalliques. |
18 - Poste de mitrailleuse |
Poste de mitrailleuse en béton armé sur le mur d’enceinte extérieur (côté sud). |
19 - Fossé bordant les premiers éléments de défense |
Fossé bordant les premiers éléments de défense du fort au sud ; il était beaucoup plus profond à l’origine et son versant raide – côté extérieur- était un véritable piège pour des chars Sherman insuffisamment pourvus de puissants moteurs et qui tentaient de reculer comme ce fut le cas à une reprise au moins. |
20 - Caserne 5 |
Intérieur de la caserne 5 |
21 - Section grille séctionnée |
Section de la grille de la caserne 5 sectionnée et envoyée au vétéran Tom Parker ; elle avait reçu l’impact de la balle du soldat US, posté à l’entrée de la caserne, et qui n’avait pas reconnu un de ses compatriotes. |
22 - Caserne 5 |
Caserne 5 : sa prise par les Américains fut permise grâce au courage du soldat Robert W. Holmlund qui, sous le feu de l’artillerie allemande, parvint, depuis le toit à faire exploser deux tubes de bangalore, bourrés de TNT. |
23 - Caserne 5 |
Reconstitution d’une chambrée. |
24 - Caserne 5 |
Caserne 5 : Reste d’un char Sherman ayant été détruit par l’artillerie allemande. |
G. Colotte